dimanche 28 juillet 2013

Une perspective holistique

Après deux semaines de session, nous avons pris un bon rythme de croisière. Chaque stagiaire a été affecté dans un département-pavillon médical de deux hôpitaux (hôpital provincial et hôpital de Heal Africa), où il accomplit ses visites et rencontres. La perspective de formation centrée sur l'expérience commence à être comprise et à porter ses fruits.

Les stagiaires avec le directeur-fondateur de Heath Africa Dr Jo Lusi, devant le "coeur" du projet.
Nous avons la chance d'être portés dans notre entreprise de formation pastorale clinique (CPT) dans l'Est du Congo par une très belle entreprise nommée HEAL AFRICA.

La séance d'ouverture officielle du CPT a suivi le culte matinal quotidien qui ouvre la journée de travail, au centre et à l'hôpital de Heal Africa. Nous avons pu y présenter le projet de formation des aumôniers (CPT) à tous les infirmiers, administratifs et médecins (une bonne centaine, très intéressés). Ce bon accueil permet aux stagiaires de faire un travail fertile dans cet hôpital.

Voir l'interview réalisé par le service des médias de l'hôpital, à l'issue de cette cérémonie d'ouverture, et mis en ligne sur le site de Heal Africa
Le centre de réhabilitation des femmes victimes de violences sexuelles Patientes après leur opération. Le Centre de tous les projets de Heal Africa
L'un des projets.

Développer une perspective HOLISTIQUE

C'est un mot à la mode aujourd'hui. C'est aussi une quête importante à laquelle s'attachent les ONG de coopération au développement; de même que l'entreprise CPT-RDC, et chez Heal Africa.

L'hôpital de Heal Africa est un centre de compétences, de formation continue des soignants et de spécialisation des médecins, reconnu dans tout le pays. Pourtant, ce grand hôpital n'est qu'une petite partie des "soins complets" que HEAL AFRICA cherche à développer. Il s'agit non seulement de traiter les symptômes des maladies et traumatismes, mais aussi d'essayer d'en éliminer les causes profondes... Heal Africa a donc fait de cette perspective holistique le cœur de sa mission et de son rayonnement. Son approche de la santé est unique: Elle intègre toute une variété d'approches, allant de la lutte juridique contre les violences sexuelles, à la prise en charge provisoire des femmes victimes qui ont été opérées, jusqu'à leur pleine réabilitation, qui les rend capables de retourner dans leurs villages. Les acteurs en parlent ainsi:

Nous avons
  • - travaillé dur pour lutter contre la violence de genre dans la communauté civile.
  • - créé des comités permanents dans les villages (plus de 110) pour aider les chefs coutumiers à prendre la responsabilité dans des questions culturelles profondes, de gestion des conflits et de soutien des personnes vulnérables,
  • - formé des avocats pour plaider en faveur de victimes de violences sexuelles
  • - construit des salles confortables pour les femmes en convalescence (après l'opération, fistule),
  • - mis en place Healing Arts , qui développe des activités créatives utiles...
Le CPT aussi inscrit modestement sa vision de l'accompagnement pastoral et spirituel dans cette perspective holistique: L'aumônerie doit s'insérer dans la prise en charge globale des patients d'un hôpital, comme une contribution spécifique et compétente, en interaction avec les autres soignants; non seulement comme un apport supplémentaire, comme si l'âme et l'esprit s'ajoutaient au corps, mais comme un regard nouveau sur l'humain, qui intègre ces dimensions.

lundi 22 juillet 2013

Mission d'information éclair à Bukavu

Mission d'information éclair à Bukavu

Ce n'est pas une moindre affaire que de faire connaître l'existence du projet de formation des aumôniers:
  • la plupart des pasteurs, candidats potentiels pour un stage CPT, n'ont pas d'adresse ~mail; et s'ils en ont, ils sont rarement connectés (panne de courant, éloignement et coût des cyber-cafés, dérangement du réseau...)
  • l'information sous forme écrite ne rencontre pas d'intérêt, car elle n'est pas porteuse de communication vivante et elle ne transmet aucune motivation.
Conclusion:

Il faut rencontrer physiquement les personnes qu'on veut toucher, et savoir les convaincre.

Le Dr Jo Lusi m'avait dit cela; je ne le croyais pas; mais j'ai dû me rendre à l'évidence: Personne de la ville voisine de Bukavu (plus de 2 millions d'habitants) ne s'est inscrit au CPT à Goma ! L'idée de faire une virée éclair de l'autre côté du lac Kivu est née de là. Au préalable, nous avions sollicité le pasteur Kabamba, président des pasteurs de la ville, pour qu'il rassemble tous les présidents et représentants légaux des différentes confessions de la ville.

Samedi 20 juillet

Départ du bateau à 7h30. Voyage dans une "corvette" qui fonce à 60 km/h (?). Seul ennui: une télévision omniprésente oblige les 25 -30 voyageurs à subir des images problématiques et un son assourdissant. Arrivée à 10h30 après avoir longé la moitié du temps toute l'île Idjwi. Le pasteur Kabamba nous attend au port de Bukavu; il nous accompagnera et nous conduira tout au long de la journée.

1ère étape:

L'occasion nous est donnée d'aller saluer les chefs provinciaux de l'Eglise du Christ au Congo, les deux Evêques Présidents. Ils sont en réunion formelle avec tout leur staff. La présence d'un Européen qui vient de l'ECC nous ouvre les portes pour interrompre leur importante séance. Protocole. Prises de parole à tour de rôle. A l'énoncé de mon nom le Président évoque sa rencontre il y a trente ans avec un certain Schwab, dans un lieu que je ne connais pas. Ce n'est sûrement pas moi. Je dis être venu ici en ...1970 (il y a 43 ans) à l'ISPPKi, l'école secondaire pentecôtiste. - "OUI c'est ça" , s'écrie-t-il ! Il était jeune écolier et se rappelle de mon passage dans son école. Grande émotion dans la petite assemblée de notables, et courant qui passe entre nous.

Par ce petit événement, notre venue à Bukavu aujourd'hui va décupler d'importance à leurs yeux, et notre projet sera pleinement accueilli par eux, avant même de bien le connaître.

2ème étape:

Je tiens à visiter le Dr Mukwege dans son hôpital de Bukavu/Panzi. Il est maintenant mondialement connu, ainsi que le fléau des violences sexuelles qu'il combat. C'est dans l'enceinte de l'hôpital qu'il vit dorénavant avec sa famille, après l'agression et la tentative d'assassinat subie en novembre dernier, et après que toute la population de Bukavu ait réclamé son retour au pays après sa fuite. Le Gouverneur lui a ainsi attribué une escorte permanente de protection. Il nous reçoit simplement dans son bureau, et à l'heure même où nous arrivons. Je suis impressionné par cet immense gaillard, dont j'ai lu le récit passionnant; (Colette Braekmann: L'homme qui répare les femmes, Andr&#233 Versaille &#233diteur 2012) . Je suis aussi un peu tendu: A quoi rime une telle rencontre ? Que peut-on en espérer ? La simple rencontre humaine se justifie-t-elle en elle-même ? Qu'est-ce qui me pousse vraiment ? Entretien passionnant de ¾ d'h.
  • L'horreur des violences sexuelles évoquées nous saisit aux tripes. C'est du jamais vu dans l'histoire humaine. Elles ne résultent pas de comportements "bestiaux"; les bêtes ne se comportent pas ainsi. C'est proprement démoniaque !
  • Il (nous) jette un cri d'interpellation (avec un brin d'amertume) aux églises qui ne se mobilisent pas contre cette réalité, mais semblent baisser les bras d'impuissance, comme tous le monde. Qu'elles élèvent leur voix pour décrier ces pratiques et lutter contre l'impunité.
  • Il valorise une prise en charge spirituelle des patients de son hôpital, qui soit dégagée de toute volonté de récupération ecclésiale, mais orientée sur les patients et leurs soins. On est sur la même longueur d'onde.
  • Puis un entretien sur l'ineptie de cette guerre actuelle. Plus rien ne la justifie. Il n'y a plus d'enjeu. Le rôle ambigu de la MONUSCO (ONU) qui s'interpose parfois contre la victoire des FARDC (armée congolaise), et le même rôle ambigu du gouvernement congolais qui souffle le chaud et le froid, qui soutient son armée, puis l'empêche d'agir... Y aurait-il un complot entre les grands qui vise à la balkanisation du Congo ? On sent chez cet homme à la fois la détermination dans son combat médical pour restaurer tant de femmes (il en a opéré 40'000 !), et sa colère contre les violences inhumaines et contre ceux au Congo et dans la communauté internationale qui s'arrangent pour prolonger une guerre qui leur est rentable.
  • Puis séance de signature de son livre et photos. Joël lui dit sa reconnaissance de le rencontrer après avoir signé, après l'attentat, avec ses étudiants paroissiens de l'autre côté du Congo, une pétition en sa faveur.
3ème étape:



vendredi 19 juillet 2013

Visite de l'extrême
au Camp de déplacés

Pour passer le cap du milieu de la formation (mercredi 17 juillet), nous prévoyons une "sortie" d'un après-midi.
  • Aller au pied du volcan ? Non, c'est trop près du front actif de la guerre actuelle.
  • Visiter la ville voisine rwandaise de Gisenyi? C'est un peu compliqué la douane.
  • Rencontrer des personnes dans un camp de déplacés ? Bien sûr, pourquoi n'y avons-nous pas pensé avant!
Je crois que pour se former à l'accompagnement pastoral et spirituel, il faut confronter la proximité de la souffrance et avoir traversé le sentiment d'impuissance. La visite d'un tel camp s'impose à nous. Le camp de Mugunga (cliquer pour voir) se situe à 15 km de Goma; et la route n'est pas menacée par les combats; nous pouvons y aller. La consigne pour les visiteurs est
  • de passer par le poste de commandement en premier, pour autorisation
  • de ne pas rester longtemps, et
  • de quitter spontanément le camp avant 15h. Nous aurons peu de temps!

L'entrée du camp.

Accueil des stagiaires dans le centre

Première impression en arrivant:

Une foule, nombreuse attend de pouvoir être admis au camp (ce sont les réfugiés du jour). Pas d'excitation, plutôt un grand calme; celui de la patience sage ou de la souffrance indicible ?

Un stagiaire, membre de l'équipe de Heal Africa nous conduit immédiatement jusqu'à la baraque construite par HA dans un quartier du camp. C'est le centre administratif d'un projet de soutien aux plus démunis des réfugiés: les personnes handicapées (oui eux aussi ont dû fuir et ont besoin d'une assistance très spécifique !). Nous savons; mais presque tous, nous n'avons jamais vu et touché cette réalité de près.

Le debriefing du lendemain nous révélera que la plupart se sentaient d'abord désécurisés, inquiets de cet environnement étrange et inconnu; et aussi transpercés par le vision du dépouillement total. L'accueil chaleureux et joyeux de toute un groupe de personnes aux handicaps divers nous surprend, puis les salutations et embrassades fraternelles nous révèlent un autre monde sous-jacent: celui de l'amour en action qui rejoint les plus démunis et qui se partage entre tous. Les responsables du projet nous accueillent, nous échangeons quelques nouvelles et prions les uns pour les autres. Chacun se sent rassuré et béni: nous sommes en pays connu !

Ce réconfort nous permettra alors de visiter les différentes tentes (de 80 places ?) pour les adolescents, les mamans, les femmes, les hommes pris en charge par le projet, logeant sur des nattes à même le sol. Chacun de nous trouve sa manière propre de se relier avec les personnes rencontrées.

C'est déjà l'heure de partir, en passant par le poste de commandement (sorte de mairie du camp) et celui de la police.
Nous passerons l'heure suivante dans un endroit tout à fait idylique, un Grand Séminaire (Buhimba) situé à quelques kilomètre seulement, entouré d'un grand et magnifique parc au bord du lac Kivu. Chacun avait besoin de cet espace-temps pour digérer ce qu'il venait de voir et d'expérimenter. Chacun pouvait apprécier le contraste de beauté et de repos (sans nier la beauté reconnue tout à l'heure, des personnes déplacées, sous la face hideuse du camp).

Un stagiaire conclura «qu'on a voulu nous donner l'occasion de "faire l'expérience" d'être plongé dans cette nouvelle situation, en étant nous-mêmes démunis, et de n'avoir rien d'autre à offrir que sa propre présence dans la rencontre».

Bien vu !

Retour au calme, repos, pour "digérer" ...

vendredi 5 juillet 2013

Première semaine à Goma

auf Deutsch...

Même quand tous les signaux sont au vert, il y a des moments où tout pourrait basculer :

Ville morte

vendredi 28 juin, jour du début du cours, je me fais réveiller à 4h35 par un sms m’annonçant une interdiction générale de circuler dans la ville.

Je n'arriverai pas à retrouver le sommeil. Toutes sortes de scénarios tournent dans ma tête. Que signifie cette interdiction ? Se passe-t-il quelque chose de nouveau sur le front? Nos 2 jours d'introduction vont-ils tomber à l'eau et notre cours être sabordé ?

A l'heure convenue (6h50) nous partons pour le culte où Joël va prêcher. Il s'avère que ce n'est pas une "interdiction", mais une action citoyenne "ville morte", qui invite les citoyens automobilistes à s'abstenir de rouler, pour protester pacifiquement contre le fait que les routes de la ville ne sont pas réparées; ceci alors que les montants de nombreux millions ont été alloués par le gouvernement à ces réparations.

(Effectivement les routes de Goma sont catastrophiques, presque impraticables à cause de la structure de lave incohérente qui se trouve partout).

Les formateurs, Tsongo, Joël, Jean-claude
Contact avec les médecins et les soignants – un flop ?

A 8h30, nous avons rendez-vous avec les médecins de l'Hôpital Civil Provincial. Le but est de les informer du projet et de leur demander d’accepter la présence des stagiaires comme aumôniers durant 5 semaines et de solliciter leur collaboration dans cette démarche. Personne n’est là. La salle est encore en train d'être lavée par les nettoyeurs. Sera-ce un "flop"?

Quelques-uns viennent. Finalement vers 9h05, nous commençons, avec 17 médecins! Ils n'ont pas l'air d'être intéressés, mais plutôt contrariés d'être ainsi convoqués; et pour envisager …"une nouvelle chose",… et avec des inconnus.

Avec Alfred et Joël, nous leur présentons le concept d'aumônerie, nous posons clairement ce qui fait la spécificité de l'accompagnement pastoral : la rencontre, la présence, l'affirmation de l'être, l'être en Christ.

L'atmosphère se détend un peu; la réserve diminue, mais des doutes subsistent.

Et puis le tournant s'opère: tout à coup, ils s’ouvrent à cette perspective, l'accueillent, puis la désirent. Et maintenant ils nous soumettent un cas qui leur pose problème, d’un jeune atteint d’un cancer avancé qui va l'amener à une fin proche irrémédiable. On sent une sorte de révolte chez ces soignants. Echanges. Finalement deux d'entre eux nous sollicitent pour les accompagner auprès de ce patient. Finalement les médecins nous ont "reproché" de ne pas les avoir informés auparavant de cette formation, dont ils estiment avoir grandement besoin.

Les stagiaires devant l’hôpital provincial
Ce samedi 29 juin, 2ème jour d'introduction du cours.

Onze sur douze stagiaires sont là. On découvre une équipe très motivée, des gens prêts à s'investir, qui prennent des initiatives. Je me réjouis !

Surprise

Rentrés du CPT avec Alfred, nous arrivons vers 17h "à la maison", chez Jo. Nous y trouvons un grand nombre de personnes dispersées sous la véranda, sur la pelouse au bord du lac, sous des parasols et autour de petites tables. C'est féérique. Le lac est calme. Ils fêtent le retour d'une nièce de Jo par un grand repas en plein air. Nous sommes immédiatement invités par Nadine la fille de Dr JO à nous y joindre.

Jo est assis là au milieu comme un vieux sage, nous allons le squatter, et je vais passer trois heures pleines, passionnantes de partage avec lui, jusqu'à ce que la nuit nous ait complétement enveloppés et le vent thermique du soir nous fasse frissonner.

Il fait pour nous une relecture de l’histoire de sa région, teintée de foi et de sagesse et d’un optimisme réaliste. Il croit que son pays arrive à un tournant : la société civile semble se réveiller et prendre position.

Maintenant les vagues se déchaînent et recouvrent le bord où nous nous tenions, et je me suis habillé chaudement.