1° Une semaine de cours à l’université
A la fin des 5 semaines de formation pour les aumôniers (CPT) il me restait un grand défi à relever: Convenu il y a un an avec la Faculté de théologie, un cours m’avait été attribué en théologie pratique (30 heures en 5 jours). Mes deux collègues superviseurs en formation (Samuel et Grégoire) prolongent leur séjour à Goma pour participer à «l’expérience».
Peut-on transposer dans le cursus universitaire, le contenu d’une formation pastorale clinique basé sur l'expérience,? C’est un beau défi!. Il s’agit plus de sensibiliser, que de former à l’écoute, à l’accompagnement et à la rencontre avec les souffrants. Nous avons choisi de commencer par un jeu-de-rôle fondé sur une situation réelle vécue lors d'une visite à l'hôpital.
D'emblée les étudiants sont conquis.
Groupes de travail en salle, dans les couloirs… | …ou sous une paillote |
L’attention, la participation active, puis l’engagement des 25 étudiant nous surprennent, nous «boostent», puis nous font vibrer à leur enthousiasme. Ils veulent absolument que le nombre d’heures de ce cours soit multiplié par deux l’an prochain! Leurs témoignages, en guise d’examen du dernier jour, attestent de prises de conscience essentielles pour leur pastorale.
Il n’est pas exclu qu’à l’avenir, il soit demandé aux formateurs cpt d’offrir un tel cours sur 5 semaines en Faculté, comme spécialisation de fin d’études.
2° Une journée de formation continue
Le jour avant mon départ, à l’heure prévue, 5 ex-stagiaires cpt 2013 et 5 autres ex-stagiaires 2014 de Goma arrivent sous une paillote au bord du lac, à l’ombre d’un soleil éclatant et tiède et sous une légère brise du sud, pour une journée de formation continue.
Retrouvailles chaleureuses, rencontre et bon temps de travail. Les membres des deux groupes se présentent mutuellement. Puis chacun fait une relecture de sa vie (un an) et laisse venir un symbole qui caractérise son vécu. Partage dense et personnel. Après un maigre pique-nique, une intervision de groupe, autour d'une situation aiguë présentée par une pasteure, vient couronner le tout.
La journée se termine par la décision et la constitution d’une structure leur permettant de poursuivre ensemble le chemin (formation continue, encouragement mutuel, organisation des aumôneries dans les nombreux hôpitaux de la ville…).
C’est prometteur!
Jean-Claude Schwab
Quelques perles :
Traces et témoignages du CPT à Goma en 2014
Traces et témoignages du CPT à Goma en 2014
- Avant d'aller vers autrui, je dois aussi me connaître et me laisser transformer, car je ne peux donner que ce que j'ai reçu.
- Sans silence intérieur je ne sais pas vraiment rencontrer Dieu.
- Suite à cette formation, je choisis d'être présente de cœur dans l'accompagnement, d'aller vers le souffrant non pas comme un fonctionnaire, mais avec un cœur ouvert et disposé: Je consens à pratiquer la volonté de Dieu en reconnaissant ma fragilité.
- Mon superviseur Grégoire est comparable à la poussière qui pénètre même les endroits fermés et cachés. Il a réussi à activer mon côté guérisseur et m'a ramenée à la surface.
FV
- En tant qu'aumônier, je croyais que c'était honteux d'avoir quelqu'un d'autre pour me faire la cure d'âme ou pour m'accompagner. Mais maintenant Je suis content et surpris de réaliser que la vie du pasteur est une vie d'apprentissage et qu'il a besoin d'un superviseur pour l'accompagner
- Avant le CPT, je n'avais pas le temps d'écouter les malades à l'hôpital; quand j'entrais dans la salle des malades, c'était pour prier seulement. Maintenant je peux aller avec un cœur d'amour et les suivre.
- J'ai appris (difficilement) à reconnaître mes limites. Se "retirer" du malade n'est pas fuir; c'est pour aller chercher une force nouvelle. Avant, j'avais honte de me retirer.
- En voyant toutes les souffrances que les gens sont en train d'endurer, et après la lecture du document "Laissez nous vivre", j'ai été révolté et je me suis décidé de dénoncer le mal de la violence dans notre société
AN
• Je profite de ce cpt pour guérir mes propres blessures. Car si je ne parviens pas à les guérir, je risque de tomber dans le stress de compassion (burn out); je réalise que je suis très exposé à ce phénomène. Me retirer n'est pas fuir, mais plutôt un moyen de me recharger.
• Je suis en train d'améliorer ma façon de communiquer, dans les groupes. J'ai appris à ne pas monopoliser la parole, mais à respecter l'opinion de l'autre. Je peux maintenant exprimer ce que je ressens comme émotion d'une autre personne, sans pour autant occasionner de choc à son égard.
MT
- En supervision, j'ai pu exprimer la peur que j'avais d'exprimer mes émotions à l'égard des vis-à-vis. J'ai osé dépasser la peur, j'ai engagé mon "Je", et j'ai trouvé la solution.
- A l'hôpital, j'étais vite envahi par la sympathie, ce qui exposait mon impuissance. Puis j'ai appris à rester moi-même. Ce qui a influencé mon accompagnement des malades. Devant mon impuissance, j'ai appris à être présent pour laisser Dieu agir en moi et dans le malade; j'ai appris à me laisser faire ce que Dieu me fait faire. Il m'attend dans ma rencontre avec le malade pour me transforme
BK
- Dans le groupe, j'avais du mal à supporter les moindres reproches de mes pairs, et parfois je me fâchais (n'étant pas alphabétisé émotionnellement). Maintenant, je peux supporter tous les propos qui me sont adressés et ne répondre qu'après avoir écouté ce qui est dit de moi. En plus, je sais désormais tolérer un débat contradictoire et profiter de la richesse des autres au travers des arguments, même si je m'y oppose.
- Dans l'accompagnement, je ne suis pas celui qui apporte la solution, mais je suis celui qui doit chercher la solution avec l'autre
KJP
- Ma pastorale de l'écoute et de la communication n'est plus la même. Ma théologie mentale vient de céder la place à une théologie expérimentale:
de la façade à la profondeur du professionnalisme à la présence compatissante du pseudo-sauveur au catalyseur du côté guérisseur de la précipitation à la patience de la fuite à la confrontation des défis prompt à écouter lent à parler conscient de mes limites et non naïf dans chaque nouvelle rencontre - Voici des pistes inachevées de compétences nouvelles: La capacité:
- de cheminer avec le malade avec mon cœur compatissant et patient
- de créer un climat de confiance et bonne collaboration entre moi et le corps soignant
- de nommer mes émotions et celles de l'autre et de discerner le non-dit
- de diriger ma famille et l'église dans la simplicité de cœur et la valorisation des compétences cachées.
MM
- J'ai été écouté pour la première fois sans m'inquiéter, par des personnes de confiance. C'est un premier pas d'entrer dans la dynamique de la compassion envers moi que je n'avais jamais connue, une guérison psychosociale qui me manquait. J'avais peur d'être critiqué, peur d'être découvert ou de m'exposer aux autres. J'ai maintenant surmonté cette peur. Le groupe est une école de découverte de soi-même et de l'autre, une école de confrontation que je ne saurais éviter pour croître; c'est une sociothérapie qui vient s'ajouter à la psychothérapie.
- J'ai surmonté le jugement des autres; grâce à la supervision, j'ai connu mon besoin d'être accepté pour pouvoir m'exprimer dans le groupe. Maintenant le groupe non plus n'a plus peur de moi.
- Cela m'ouvre à une capacité de présence vraiment consciente, dans l'accompagnement, et non seulement de simple présence physique. J'ai expérimenté la puissance de la présence auprès des sérieusement malades. La fragilité consciente et acceptée n'aboutit pas forcément à l'échec.
- Nous sommes tous créés à l'image de Dieu; cette compréhension anthropologique peu commune à certains évangéliques m'a permis de redonner à chaque humain de la valeur et de chercher quelles sont ses capacités lui dotées par Dieu.
SK
- Réécrire mon histoire de vie a suscité en moi des émotions comme si je revivais ces incidents traumatiques que la dite histoire contenait. J'en ai eu des insomnies et des céphalées intenses. Puis la paix s'est installée pendant que je revivais toutes les résonances formulées à mon égard: dans ma sombre histoire s'est levé le jour !
- Pour moi c'était difficile de laisser un espace pour l'autre; mais avec le temps, je suis arrivée à valoriser l'autre, à créer pour eux un espace afin qu'ils s'expriment. Et cela a créé un climat d'attente et d'attention mutuelle.
- J'ai pris conscience de ma vulnérabilité devant la souffrance; cela m'a permis d'être en communication avec moi-même et avec Dieu, dans la conscience de ma présence et de mon impuissance. Pendant l'accompagnement de vis-à-vis, j'ai pu être en prière intérieurement et quand je me trouvais dans l'incapacité de continuer, j'ai eu à prononcer certaines phrases qui n'étaient pas miennes.
- Je ne peux pas changer les autres; mais quand je change, tout change autour de moi. Je voudrais vivre ma vulnérabilité devant les souffrances. La conscience de ma présence me rend à l'aise dans mon identité d'accompagnante; elle me permet d'écouter, de communiquer, et la transformation ou le changement peut s'en suivre.
KD
Traces-témoignages d'étudiants suite au cours en faculté de théologie à Goma en 2014
- Dans l'accompagnement des malades, la prière ne suffit pas à elle seule ("prier, prêcher, et ensuite partir"), je dois partager sa souffrance. Il est important de ne pas envahir l'espace de l'autre. Ma présence devant le malade vaut beaucoup. L'effet pour l'autre de parler, c'est pour être libéré de l'émotion qui l'a envahie. Mais écouter est la chose la plus difficile, parce qu'en écoutant l'autre, je donne ce que l'on ne m'a pas donné. Ce cours confirme que j'ai l'appel pour les malades, bien qu'avant je ne voulais pas aller sur ce terrain.
- Ce cours a éveillé ma conscience de m'engager à écouter non seulement les malades, mais aussi moi-même, mon épouse et mes enfants et mes contemporains.
La dynamique de l'archétype guérisseur-blessé (le patient a en lui la piste de solution) m'a libéré du blocage, où moi, me voyant impuissant devant tel cas, il m'était impossible d'aller vers ce patient.
Jusque là, quand je visitais les malades, je priais pour eux, mais ne me mettais pas à les écouter en profondeur, ni les accompagner. Je m'occupais souvent des autres questions concernant l'église. - Ce cours a changé ma façon d'accompagner les fidèles: Je ne vais plus commencer par les conseils, les prédications et chercher les solutions pour eux (ce faisant, je les diminuais) mais les aider à trouver eux-mêmes les solutions à leurs problèmes. Je comprends pourquoi j'ai connu quelques échecs dans des accompagnements pastoraux. Je vais me mettre à l'école de l'écoute, qui est l'école de Jésus
- Quand j'écoute vraiment l'autre, il y a un miracle qui s'opère: Je l'aide à sortir de lui-même, plutôt que le juger ou me précipiter à lui donner des conseils, des prédications et des prières. Je ne dois plus considérer seulement ceux qui sont dans la joie, mais aussi m'orienter vers les souffrants.
- Ecouter une personne, c'est lui donner le temps de parler tout ce qu'il a comme préoccupations et problèmes, lui donner le temps de se décharger lui-même. Il ne s'agit pas de viser sa spiritualité, mais la personne elle-même. Je m'engage à m'impliquer dans l'accompagnement des personnes qui souffrent, les personnes méprisées.
- J'ai quitté mon ancienne manière de vivre, de me comporter face à des personnes en difficulté. Il y a une révolution dans mes attitudes: mon ministère doit s'orienter vers la personne plus que vers le problème. Je ne suis pas obligé de voir la personne se rétablir à l'instant même; mais il faut développer la patience. Ce cours renouvelle en moi l'engouement pour aller vers les gens avec ma présence présente auprès des opprimés.