mercredi 24 décembre 2014

Goma 2014 (6/6):
Post scriptum en forme de points d’orgue !



1° Une semaine de cours à l’université

Un auditoire attentif, participatif, engagé
A la fin des 5 semaines de formation pour les aumôniers (CPT) il me restait un grand défi à relever: Convenu il y a un an avec la Faculté de théologie, un cours m’avait été attribué en théologie pratique (30 heures en 5 jours). Mes deux collègues superviseurs en formation (Samuel et Grégoire) prolongent leur séjour à Goma pour participer à «l’expérience».

Peut-on transposer dans le cursus universitaire, le contenu d’une formation pastorale clinique basé sur l'expérience,? C’est un beau défi!. Il s’agit plus de sensibiliser, que de former à l’écoute, à l’accompagnement et à la rencontre avec les souffrants. Nous avons choisi de commencer par un jeu-de-rôle fondé sur une situation réelle vécue lors d'une visite à l'hôpital.

D'emblée les étudiants sont conquis.
Groupes de travail en salle, dans les couloirs……ou sous une paillote

Le superviseur Grégoire en action

L’attention, la participation active, puis l’engagement des 25 étudiant nous surprennent, nous «boostent», puis nous font vibrer à leur enthousiasme. Ils veulent absolument que le nombre d’heures de ce cours soit multiplié par deux l’an prochain! Leurs témoignages, en guise d’examen du dernier jour, attestent de prises de conscience essentielles pour leur pastorale.



Il n’est pas exclu qu’à l’avenir, il soit demandé aux formateurs cpt d’offrir un tel cours sur 5 semaines en Faculté, comme spécialisation de fin d’études.

2° Une journée de formation continue

Le jour avant mon départ, à l’heure prévue, 5 ex-stagiaires cpt 2013 et 5 autres ex-stagiaires 2014 de Goma arrivent sous une paillote au bord du lac, à l’ombre d’un soleil éclatant et tiède et sous une légère brise du sud, pour une journée de formation continue.



Retrouvailles chaleureuses, rencontre et bon temps de travail. Les membres des deux groupes se présentent mutuellement. Puis chacun fait une relecture de sa vie (un an) et laisse venir un symbole qui caractérise son vécu. Partage dense et personnel. Après un maigre pique-nique, une intervision de groupe, autour d'une situation aiguë présentée par une pasteure, vient couronner le tout.

La journée se termine par la décision et la constitution d’une structure leur permettant de poursuivre ensemble le chemin (formation continue, encouragement mutuel, organisation des aumôneries dans les nombreux hôpitaux de la ville…).

C’est prometteur!

Jean-Claude Schwab




Quelques perles :
Traces et témoignages du CPT à Goma en 2014
  • Avant d'aller vers autrui, je dois aussi me connaître et me laisser transformer, car je ne peux donner que ce que j'ai reçu.
  • Sans silence intérieur je ne sais pas vraiment rencontrer Dieu.
  • Suite à cette formation, je choisis d'être présente de cœur dans l'accompagnement, d'aller vers le souffrant non pas comme un fonctionnaire, mais avec un cœur ouvert et disposé: Je consens à pratiquer la volonté de Dieu en reconnaissant ma fragilité.
  • Mon superviseur Grégoire est comparable à la poussière qui pénètre même les endroits fermés et cachés. Il a réussi à activer mon côté guérisseur et m'a ramenée à la surface.
Quant à mes collègues stagiaires, vous faites désormais partie de moi-même.
FV
  • En tant qu'aumônier, je croyais que c'était honteux d'avoir quelqu'un d'autre pour me faire la cure d'âme ou pour m'accompagner. Mais maintenant Je suis content et surpris de réaliser que la vie du pasteur est une vie d'apprentissage et qu'il a besoin d'un superviseur pour l'accompagner
  • Avant le CPT, je n'avais pas le temps d'écouter les malades à l'hôpital; quand j'entrais dans la salle des malades, c'était pour prier seulement. Maintenant je peux aller avec un cœur d'amour et les suivre.
  • J'ai appris (difficilement) à reconnaître mes limites. Se "retirer" du malade n'est pas fuir; c'est pour aller chercher une force nouvelle. Avant, j'avais honte de me retirer.
  • En voyant toutes les souffrances que les gens sont en train d'endurer, et après la lecture du document "Laissez nous vivre", j'ai été révolté et je me suis décidé de dénoncer le mal de la violence dans notre société
AN
• Je profite de ce cpt pour guérir mes propres blessures. Car si je ne parviens pas à les guérir, je risque de tomber dans le stress de compassion (burn out); je réalise que je suis très exposé à ce phénomène. Me retirer n'est pas fuir, mais plutôt un moyen de me recharger. • Je suis en train d'améliorer ma façon de communiquer, dans les groupes. J'ai appris à ne pas monopoliser la parole, mais à respecter l'opinion de l'autre. Je peux maintenant exprimer ce que je ressens comme émotion d'une autre personne, sans pour autant occasionner de choc à son égard.
MT
  • En supervision, j'ai pu exprimer la peur que j'avais d'exprimer mes émotions à l'égard des vis-à-vis. J'ai osé dépasser la peur, j'ai engagé mon "Je", et j'ai trouvé la solution.
  • A l'hôpital, j'étais vite envahi par la sympathie, ce qui exposait mon impuissance. Puis j'ai appris à rester moi-même. Ce qui a influencé mon accompagnement des malades. Devant mon impuissance, j'ai appris à être présent pour laisser Dieu agir en moi et dans le malade; j'ai appris à me laisser faire ce que Dieu me fait faire. Il m'attend dans ma rencontre avec le malade pour me transforme
BK
  • Dans le groupe, j'avais du mal à supporter les moindres reproches de mes pairs, et parfois je me fâchais (n'étant pas alphabétisé émotionnellement). Maintenant, je peux supporter tous les propos qui me sont adressés et ne répondre qu'après avoir écouté ce qui est dit de moi. En plus, je sais désormais tolérer un débat contradictoire et profiter de la richesse des autres au travers des arguments, même si je m'y oppose.
  • Dans l'accompagnement, je ne suis pas celui qui apporte la solution, mais je suis celui qui doit chercher la solution avec l'autre
KJP
  • Ma pastorale de l'écoute et de la communication n'est plus la même. Ma théologie mentale vient de céder la place à une théologie expérimentale:
    de la façadeà la profondeur
    du professionnalismeà la présence compatissante
    du pseudo-sauveurau catalyseur du côté guérisseur
    de la précipitationà la patience
    de la fuiteà la confrontation des défis
    prompt à écouterlent à parler
    conscient de mes limiteset non naïf dans chaque nouvelle rencontre
  • Voici des pistes inachevées de compétences nouvelles: La capacité:
    • de cheminer avec le malade avec mon cœur compatissant et patient
    • de créer un climat de confiance et bonne collaboration entre moi et le corps soignant
    • de nommer mes émotions et celles de l'autre et de discerner le non-dit
    • de diriger ma famille et l'église dans la simplicité de cœur et la valorisation des compétences cachées.
MM
  • J'ai été écouté pour la première fois sans m'inquiéter, par des personnes de confiance. C'est un premier pas d'entrer dans la dynamique de la compassion envers moi que je n'avais jamais connue, une guérison psychosociale qui me manquait. J'avais peur d'être critiqué, peur d'être découvert ou de m'exposer aux autres. J'ai maintenant surmonté cette peur. Le groupe est une école de découverte de soi-même et de l'autre, une école de confrontation que je ne saurais éviter pour croître; c'est une sociothérapie qui vient s'ajouter à la psychothérapie.
  • J'ai surmonté le jugement des autres; grâce à la supervision, j'ai connu mon besoin d'être accepté pour pouvoir m'exprimer dans le groupe. Maintenant le groupe non plus n'a plus peur de moi.
  • Cela m'ouvre à une capacité de présence vraiment consciente, dans l'accompagnement, et non seulement de simple présence physique. J'ai expérimenté la puissance de la présence auprès des sérieusement malades. La fragilité consciente et acceptée n'aboutit pas forcément à l'échec.
  • Nous sommes tous créés à l'image de Dieu; cette compréhension anthropologique peu commune à certains évangéliques m'a permis de redonner à chaque humain de la valeur et de chercher quelles sont ses capacités lui dotées par Dieu.
SK
  • Réécrire mon histoire de vie a suscité en moi des émotions comme si je revivais ces incidents traumatiques que la dite histoire contenait. J'en ai eu des insomnies et des céphalées intenses. Puis la paix s'est installée pendant que je revivais toutes les résonances formulées à mon égard: dans ma sombre histoire s'est levé le jour !
  • Pour moi c'était difficile de laisser un espace pour l'autre; mais avec le temps, je suis arrivée à valoriser l'autre, à créer pour eux un espace afin qu'ils s'expriment. Et cela a créé un climat d'attente et d'attention mutuelle.
  • J'ai pris conscience de ma vulnérabilité devant la souffrance; cela m'a permis d'être en communication avec moi-même et avec Dieu, dans la conscience de ma présence et de mon impuissance. Pendant l'accompagnement de vis-à-vis, j'ai pu être en prière intérieurement et quand je me trouvais dans l'incapacité de continuer, j'ai eu à prononcer certaines phrases qui n'étaient pas miennes.
  • Je ne peux pas changer les autres; mais quand je change, tout change autour de moi. Je voudrais vivre ma vulnérabilité devant les souffrances. La conscience de ma présence me rend à l'aise dans mon identité d'accompagnante; elle me permet d'écouter, de communiquer, et la transformation ou le changement peut s'en suivre.
KD
Traces-témoignages d'étudiants suite au cours en faculté de théologie à Goma en 2014
  • Dans l'accompagnement des malades, la prière ne suffit pas à elle seule ("prier, prêcher, et ensuite partir"), je dois partager sa souffrance. Il est important de ne pas envahir l'espace de l'autre. Ma présence devant le malade vaut beaucoup. L'effet pour l'autre de parler, c'est pour être libéré de l'émotion qui l'a envahie. Mais écouter est la chose la plus difficile, parce qu'en écoutant l'autre, je donne ce que l'on ne m'a pas donné. Ce cours confirme que j'ai l'appel pour les malades, bien qu'avant je ne voulais pas aller sur ce terrain.
  • Ce cours a éveillé ma conscience de m'engager à écouter non seulement les malades, mais aussi moi-même, mon épouse et mes enfants et mes contemporains. La dynamique de l'archétype guérisseur-blessé (le patient a en lui la piste de solution) m'a libéré du blocage, où moi, me voyant impuissant devant tel cas, il m'était impossible d'aller vers ce patient.
    Jusque là, quand je visitais les malades, je priais pour eux, mais ne me mettais pas à les écouter en profondeur, ni les accompagner. Je m'occupais souvent des autres questions concernant l'église.
  • Ce cours a changé ma façon d'accompagner les fidèles: Je ne vais plus commencer par les conseils, les prédications et chercher les solutions pour eux (ce faisant, je les diminuais) mais les aider à trouver eux-mêmes les solutions à leurs problèmes. Je comprends pourquoi j'ai connu quelques échecs dans des accompagnements pastoraux. Je vais me mettre à l'école de l'écoute, qui est l'école de Jésus
  • Quand j'écoute vraiment l'autre, il y a un miracle qui s'opère: Je l'aide à sortir de lui-même, plutôt que le juger ou me précipiter à lui donner des conseils, des prédications et des prières. Je ne dois plus considérer seulement ceux qui sont dans la joie, mais aussi m'orienter vers les souffrants.
  • Ecouter une personne, c'est lui donner le temps de parler tout ce qu'il a comme préoccupations et problèmes, lui donner le temps de se décharger lui-même. Il ne s'agit pas de viser sa spiritualité, mais la personne elle-même. Je m'engage à m'impliquer dans l'accompagnement des personnes qui souffrent, les personnes méprisées.
  • J'ai quitté mon ancienne manière de vivre, de me comporter face à des personnes en difficulté. Il y a une révolution dans mes attitudes: mon ministère doit s'orienter vers la personne plus que vers le problème. Je ne suis pas obligé de voir la personne se rétablir à l'instant même; mais il faut développer la patience. Ce cours renouvelle en moi l'engouement pour aller vers les gens avec ma présence présente auprès des opprimés.



Goma 2014 (5/6):
Le CPT, Un grand bonheur



Les 12 participants à la session de formation pastorale clinique (cpt) proviennent de la ville de Goma pour la plupart, sauf quelques-uns de la région martyre de Béni (en proie à de nombreux massacres ces dernières semaines), ainsi que de la grande île d'Idjjwi. La plupart sont des pasteurs confirmés, déjà à l'œuvre dans des hôpitaux, tout en étant pasteurs de paroisse; quelques laïcs et un psychologue, engagés dans une pastorale d'accompagnement. La session se déroule comme d'habitude (voir la galerie de photos ci-dessous), mais dans un cadre absolument idyllique (séminaire/monastère catholique de Buhimba) et dans un climat de grande quête d'apprentissage et de relations intenses.

Cérémonie de clôture du CPT

Pour la suite du rayonnement de la formation du CPT, et pour la reconnaissance de l'importance de la pastorale de la santé et du ministère d'aumônier dans les hôpitaux, il est nécessaire de rendre public le travail accompli. Le dernier samedi (6 décembre), toute une palette de pasteurs et responsables de la société civile ont été invités à une cérémonie de clôture. Devant l'assemble réunie (200-300 personnes, dont le Ministre provincial de la santé), les stagiaires ont donné leur témoignage, dont voici quelques extraits
  1. "J'ai découvert l'importance de l'écoute, de l'attention et du temps mis à part pour l'écoute dans l'accompagnement des malades. Lors de nos rencontres dans les hôpitaux, il n'y a pas besoin de faire beaucoup de prières, mais il s'agit de leur donner du temps pour qu'ils s'expriment. Faut-il faire des miracles pour être un bon accompagnant ? Le secret, c'est une vraie écoute. Grâce à elle, le souffrant s'ouvre et progresse vers la guérison. Dans l'accompagnement, il faut tenir compte du ressenti du malade, nommer ses émotions, pour éveiller son côté guérisseur"
  2. "Je suis pasteur depuis très longtemps, et aumônier d'hôpital depuis 13 ans. Je réalise que jusqu'ici je venais prêcher dans l'hôpital, et tous étaient centrés sur moi. Je prétendais que Dieu leur parle, et m'attendais à ce que les gens soient bouleversés. Mais je découvre que je prêchais comme un dictateur! Vraiment je vous demande pardon d'avoir imposé ainsi ma prédication. Il me manquait l'écoute, de prêter l'oreille, de comprendre à fond. Ce serait un péché de continuer ainsi.
    L'écoute consiste à saisir l'expérience intérieure de l'autre, vivre une rencontre de cœur à cœur. Quand vous partagez, vous n'êtes plus dictatorial, vous êtes plus profond, vous prenez les souffrances de l'autre avec vous."
  3. "J'ai fait l'heureuse expérience d'être écouté moi-même, par quelqu'un de capable. J'ai pu partager mon histoire de vie, y compris toutes mes émotions; on est allé jusqu'au fond de mon cœur. Par la présence des superviseurs, j'ai pu vivre un moment comme je n'ai jamais connu d'être ainsi écouté. J'ai perçu la présence du Seigneur au travers de leur écoute. Au point que des sentiments négatifs, d'humiliation et de culpabilités ont pu être dépassés. J'en suis transformé. J'en vois les fruits immédiats dans mon ministère auprès des malades".


Le Ministre de la santé se dit impressionné de découvrir l'importance de ce travail. Serait-ce le prélude à une future reconnaissance publique et financière de ce ministère…?

Jean-Claude Schwab


Galerie de photos
Un endroit idyllique
avec des collaborateurs super (…viseurs en formation)
Raconter sa vie et la présenter……sous forme d'un panorama de vie
Vivre et analyser un entretien libre
Découvrir l'hôpital……et s'y immerger en revêtant la blouse…
… et même parfois en passant sur la table d'opération !
Retour à l'exercice de communication…… par la prédication
Le passage fréquent des forces de l'ONU……et le volcan majestueux et menaçant nous gardent en alerte…
…mais n'empêchent pas des pauses hilarantes……calmantes ou…
…sportives !
On est aidé par une armée joyeuse de cuisinières……et des moyens techniques indispensables (groupe électrogène)
Dernier exercice de communication:…le rapport final.
Les certifiés sont honorés par la présence du Ministre de la santé…
…et prêts à vivre un nouvel engagement.
L'espérance nous porte en avant

vendredi 5 décembre 2014

Goma 2014 (4/6):
Une région en état de stress post traumatique
ou
Visites peu banales à l'hôpital




Au jour de mon arrivée à Goma en fin octobre, on apprend de mauvaises nouvelles de la région de Béni à 300km au Nord: les rebelles sont à nouveau sortis de la forêt. En pleine nuit, ils entrent dans les maisons et massacrent tous ce qui vit, puis se dispersent et disparaissent dans la forêt. On parle de 80 morts. Le niveau d'inquiétude monte, jusqu'ici à Goma.

Mais on doit quand même vivre ! En effet, la vie continue, et les inquiétudes sont enfouies ou dépassées pour un temps. On dit que toute la région est en état de stress post-traumatique. Ça fait bientôt 20 ans que ça dure, par vagues successives. Cela n'empêche pas la population, et en particulier les stagiaires du cpt, de rester sensibles à la beauté de la nature qui nous entoure, de s'ouvrir à la proximité régénératrice du Souffle divin, et de goûter la joie d'exister ou d'être ensemble.





Entre temps, l'horreur qui paraissait assez lointain devient toute proche et prend une dimension personnelle, avec des visages réels: les stagiaires du CPT commencent à rencontrer des survivants dans leurs visites à l'hôpital. Ces derniers semblent parfois un peu anesthésiés, comme si la tragédie qu'ils viennent de vivre était enfouie, pour ne laisser paraître que les derniers petits soucis de surface.

Les stagiaires vivent dans une grande tension et une forte ambivalence: d'une part, ils sont choqués par ce qu'ils doivent et veulent écouter. Ils entendent des récits insoutenables, que je me retiens de transmettre ici. D'autre part, cette proximité avec l'horreur ne leur est pas étrangère, leurs propres expériences et leurs souvenirs traumatiques, demeurés juste sous la surface, sont ravivés.

Durant la formation cpt, la tentation de consoler à bon marché est clairement détectée, le long travail intérieur pour confronter ses propres fragilités est entrepris. Chacun, à son rythme, découvre qu'il ne s'agit pas juste de "savoir comment faire", comment accompagner dans tel cas. Et le travail de sa propre guérison commence, alors qu'il s'approche des blessures des autres. Ce chemin vise à découvrir l'accès à ses propres ressources, presqu'en même temps que d'apprendre à conduire les patients à découvrir les leurs.




Processus d'apprentissage par jeux de rôle

Et puis, dernièrement, on entend à nouveau de ces informations tragiques de razzia meurtrières dans la ville de Béni. L'armée congolaise et celle de l'ONU semblent paralysées par cette stratégie nouvelle. Et au cpt, on prend conscience que le travail pour devenir de vrais accompagnateurs des souffrants est long et profond; et qu'il doit se compléter par d'autres compétences, celles du courage pour dénoncer le mal, celle de fortifier la confiance pour tenir debout contre vents-et-marées…




Un long et dur travail !

Jean-claude Schwab


Et on découvre que beaucoup d'autres dans la région sont déjà attelés à cette tâche et qu'on pourra entrer en réseau avec eux. En particulier, avec la démarche et l'appel du "groupe de Bukavu" initié par le professeur Bernard Ugeux (extraits).

Prêtres de demain, un homme au cœur d’enfant ?

Aujourd’hui on parle beaucoup de personnes blessées, n’oublions pas que le prêtre lui-même est appelé
à panser et à penser ses propres blessures. Le prêtre est un homme fragile qui peut avoir des difficultés à gérer les situations-limites qui le surprennent souvent en cours de chemin. Il n’est donc pas, – contrairement à l’image qu’il se donne ou qu’il peut afficher, souvent maladroitement, – un « surhomme », un « extra- terrestre » ! En effet, toute personne qui chemine dans la vie spirituelle passe parfois par des moments difficiles où les nuits et les combats sont parfois terribles, humainement invivables. Tout prêtre passe aussi par des crises humaines comme, par exemple, la « crise du milieu de vie » (généralement entre 40 et 55 ans) ou la crise de « l’acceptation de la vieillesse », etc...

Le prêtre blessé, envoyé aux personnes blessées

Pour ce monde blessé et dont le « mal-être » est palpable, il nous faut repenser notre ministère sacerdotal : le monde attend des prêtres qui, comme le Bon Samaritain, s’arrêtent sur la misère des blessés et les conduit jusqu’à la guérison intégrale. Accepterons-nous de renaître à notre propre baptême, de redevenir des enfants (et non des gamins !) : enfants fragiles, qui se laissent brûler par la Miséricorde divine et devenir le reflet de cette tendresse miséricordieuse parmi nos frères et sœurs.

Prêtre, homme souple, aux grands yeux

« Dieu ne demande pas des gens qui ont des vertus, mais des enfants qu’il puisse prendre comme on soulève un petit enfant, subitement parce qu’il est léger et qu’il a des grands yeux » (Emmanuel Mounier).

Ces hommes et ces femmes paraîtront fragiles et vulnérables aux yeux du monde, mais ils seront désarmants parce qu’ils auront été désarmés de leur pouvoir, de leur savoir et de leur avoir, pour ne demeurer qu’instruments de Dieu. S’ils sont trop forts, s’ils se présentent comme un soldat tout équipé, alors ils risquent de se mettre un peu sur le piédestal de leur supériorité et de leur générosité. Ils apparaîtront alors devant leurs frères et sœurs, non pas comme des représentants de Jésus- Christ, obéissant, doux et humble de cœur, mais comme des organisateurs ou des enseignants efficaces qui peuvent avoir caché leurs projets de mieux réussir dans la carrière ecclésiastique.

«Les véritables témoins de notre temps ressembleront à l’enfant prodigue. Ils auront fait une expérience de Dieu en reconnaissant leur misère. Le plus grand besoin des hommes et des femmes d’aujourd’hui, c’est de rencontrer sur leur chemin des personnes qui, ayant accepté leur pauvreté, peuvent dire alors : "N’ayez pas peur de votre pauvreté, de votre fragilité, voire même de votre vulnérabilité. Pénétrez au plus intime de vous – même et découvrez ce trésor dont la valeur n’a rien de comparable à ce que vous possédez déjà"» (Jean Vanier).

dimanche 23 novembre 2014

Goma 2014 (3/6): Un projet novateur qui nous précède et nous rejoint:
Les paillottes de paix




Il est de coutume, au milieu du cours de formation pastorale clinique CPT, de consacrer une journée à une "sortie" interpellatrice. Cette année nous avons choisi de visiter un village de montagne (Karuba, dans le Masisi), où nous avion rendez-vous avec le "Comité Néhémie »

Le centre médical de Heal Africa, dans sa vision holistique de la santé a mis en place dans les villages de la région des Comités Néhémie - en référence au prophète qui a reconstruit la ville de Jérusalem détruite et posé les bases d’une société juste. - Ces comités réunissent les responsables, religieux (chrétiens et musulmans), coutumiers, administratifs et notables d'un village, pour travailler sur la gestion des conflits et la défense des droits de la femme ( lutter contre l’exclusion des femmes violées ou bien de donner droit d’héritage aux veuves qui, selon la coutume, sont dépouillées de tout bien et restent sans ressource lors du décès du conjoint.)

Nous avions rendez-vous à une heure et demie d'ici, sur des routes à vous casser les meilleurs 4x4, nous grimpons à des altitudes presque suisses (2000 à 2500m), dans des chemins escarpés avec 2 véhicules. Nous avons la chance d'avoir comme guide le pasteur Bolingo, qui est le réalisateur principal du projet et qui est aussi formateur CPT en formation. Actuellement 131 villages se sont dotés de telles structures de pacification.

Accueil chaleureux. On nous invite dans la "paillotte de paix". Les hommes s'asseillent en face de nous, en deux demi-cercle, dans un décor impressionnant de beauté. On découvre que les femmes ne sont pas là; ça manque. Nous apprendrons par la suite que la plupart sont parties au marché. Il y en a tout de même une qui nous rejoint.

Dans le village de Karuba, plusieurs personnes avaient déjà été sensibilisés à la problématique des droits de l'homme. Ils ont tout de suite accueilli le projet Néhémie avec intérêt. Ces hommes et femmes nous racontent maintenant avec fierté et passion ce qu'ils vivent depuis ce temps-là. Ils ont vu des changements tels, qu'ils ont décidé de continuer cette entreprise sans soutien extérieur lorsque le soutien financier à leur démarche s’est arrêté, en 2010.

Ils se sont formés à la gestion des conflits, et se sont attelés à offrir au village un instrument de résolution des multiples conflits internes, au travers de la paillote de paix : conflits conjugaux, familiaux, inter-ethniques, ou à propos d'héritage, dans la défense des droits des femmes, etc. Ils témoignent de nombreux cas de pacifications réussies, qui les enthousiasment et nourrissent leur motivation:

Ils nous racontent:
  • Nous défendons les gens auprès de la police quand elle les accuse injustement (ce qui est courant au Congo) . La collaboration s'est bien établie. Aujourd'hui, nous allons vérifier pourquoi telle personne est en prison, et si c'est à tort qu'elle a été arrêtée. Dans ce cas nous l’amenons vers la bonne juridiction, pour qu'elle soit libérée des traitements abjects. Les prisonniers disent que "le Comité nous défend bien, pour que la justice soit établie". Par ailleurs, chez nous les filles de la tribu Hutus n'étaient pas scolarisées. En quelques années ça a bien changé. Et nos femmes et les soeurs reçoivent aussi leur part d'héritage dorénavant.
  • Chez moi nous avions un conflit avec ma tante à propos d'un héritage. Après le recours à la paillote, j'ai appris que ma soeur avait aussi droit à sa part. Auparavant, les femmes qui avaient été violées étaient rejetées. Après notre formation, nous reconnaissons qu'elles sont des victimes, qu'elles ont subi un traumatisme; et nous voulons désormais que ces femmes restent en famille.
  • Quand il y a un conflit, et qu'on recourt à notre comité, nous disons que nous ne sommes pas des juges, mais des réconciliateurs. D'abord, nous écoutons les 2 parties attentivement. Puis nous allons investiguer sur le terrain, dans les familles, chez les voisins, pour comprendre vraiment pourquoi ces parties sont en conflit. Nous cherchons à sonder les coeurs. Ensuite on met les deux parties en confrontation, puis on les conseille en vue d'une réconciliation où les deux parties sont gagnantes.
  • Nous sommes en train d'intérioriser cette nouvelle culture, qui nous fait du bien. Notre population commence à se relever. Maintenant, les villages avoisinants nous demandent de venir les former en vue de créer des telles paillottes de paix.

On termine ce temps de dialogue tout naturellement par le partage de notre pique-nique avec nos hôtes, puis par des échanges informels sur la place du village, avec les photos habituelles

Un dernier incident nous révèle l'importance de cette démarche et l'autorité acquise par ce Comité : à la sortie du village, au barrage de police, on nous arrête. Les policiers manifestent une certaines agressivité. On sait que c'est qu’ils veulent nous extorquer quelques dollars. Quelques minutes après les membres du comité arrivent à pied au barrage. Tout de suite l'ambiance change: plus questions de négocier notre passage! Cela finit par un échange chaleureux, où toute menace avait disparu !!


Si vous avez goût à continuer votre lecture, voici un autre événement vécu par Jean-Claude à l’occasion d’un culte :

Moi aussi je traverse le test de la réalité.

Dimanche 16 novembre, 16h30. Rentré chez moi à 14h30, je goûte une sieste bienfaisante, puis profite de mon balcon au dessus du lac pour importer mes photos et me remémorer cette journée. Parti comme d'habitude aux aurores, et après avoir participé (assisté) à la célébration à HA, je suis conduit vers le "temple" d'une église dont l'un des stagiaires Sophonie Kasiki est représentant légal (= président du conseil synodal).J'avais décidé de passer dans son église et dans sa famille. Kasiki est aussi aumônier à HA. J'avais préparé ma prédication hier soir, à la limite de la fatigue.

ambiance du soir devant chez moi
En m'approchant du quartier de cette église, j'ai commencé à douter de la pertinence de mon message (concernant le sentiment d'impuissance devant les défis insurmontables de la souffrance) : on parcourt en 4x4 (à 2km/h) des rues de plus en plus étroites et serpentant à travers les blocs et gravats de lave séchée, les maisons devenant de plus en plus petites.

Puis le temple: une sorte de baraque en bois et en tôle rouillée (elle avait été incendiée il y a un an et reconstruite avec les restes). Une assemblée nombreuse, mais assise pauvrement sur des petits bancs inconfortables. Ne suis-je, ne serai-je à côté de la plaque avec mon message compliqué ?

Mais un tournant s'opère: déjà lors de la salutation, je découvre une assemblée attentive, réactive, vigoureuse. Puis vient le temps d'un échange autour d'un texte biblique (non lu). En effet un chapitre biblique est recommandé pour chaque semaine. Et lors du culte un entretien communautaire s'établit autour de ce texte. Les interventions de femmes et d'hommes surgissent à tour de rôle de tous côtés, au micro. Des interventions personnelles, ou théologiques, existentielles, des questions ouvertes, le pasteur renvoyant toujours la parole à l'assemblée. Je n'ai jamais vécu un tel échange de maturité dans une église (dont j'avais les bribes de traduction depuis le swahili). J'en suis même émerveillé. Voilà une communauté mûre.

Toutes mes projections erronées commencent à s'effondrer. (Voilà un des bons fruits de la Ligue plldl Bible!) Je pourrai transmettre "sans plus de doute", ce que j'avais préparé. Je perçois en effet un accueil, une écoute intelligente, perceptive. Etonnamment, à la fin, un bon nombre de jeunes hommes se sont approchés de moi pour me dire spécifiquement "qu'ils avaient bien compris ce que je leur avais communiqué". Après le message, je me rassieds entre 2 pasteurs qui sont aussi stagiaires au CPT, et leur demande s'ils sont en train de faire "la supervision de ma prédication" (comme on le pratique au CPT). L'un me dit qu'il était en train de formuler en lui-même quel était le centre du message qu'il avait reçu. Et juste après on lui demande de conclure: en moins d'une minute il déclare ce centre; j'avais l'impression que c'était pertinent (mais n'ai pas pu contrôler, en swahili)! Une belle expérience pour moi, et un bel apprentissage!… et en même temps une belle leçon !

Le passage ensuite, dans la maison et la famille de Kasiki est touchant. Il a transplanté sa famille (5 garçons, de 10 à 23 ans, dont 2 à l'uni) de Butembo vers Goma (250 km), pour travailler à HA, avec un mandat d'une année ! (HA travaille ainsi avec chacun de ses employés, en fonction des engagements des ONG pour chacun de leurs projets). C'est une démarche de foi, risquée, mais confiante. J'ai pu entrer de plain pied et de tout coeur dans leur parcelle et leur maison, si dépouillée, mais bien "habitée ».

Jean-Claude Schwab