vendredi 5 décembre 2014

Goma 2014 (4/6):
Une région en état de stress post traumatique
ou
Visites peu banales à l'hôpital




Au jour de mon arrivée à Goma en fin octobre, on apprend de mauvaises nouvelles de la région de Béni à 300km au Nord: les rebelles sont à nouveau sortis de la forêt. En pleine nuit, ils entrent dans les maisons et massacrent tous ce qui vit, puis se dispersent et disparaissent dans la forêt. On parle de 80 morts. Le niveau d'inquiétude monte, jusqu'ici à Goma.

Mais on doit quand même vivre ! En effet, la vie continue, et les inquiétudes sont enfouies ou dépassées pour un temps. On dit que toute la région est en état de stress post-traumatique. Ça fait bientôt 20 ans que ça dure, par vagues successives. Cela n'empêche pas la population, et en particulier les stagiaires du cpt, de rester sensibles à la beauté de la nature qui nous entoure, de s'ouvrir à la proximité régénératrice du Souffle divin, et de goûter la joie d'exister ou d'être ensemble.





Entre temps, l'horreur qui paraissait assez lointain devient toute proche et prend une dimension personnelle, avec des visages réels: les stagiaires du CPT commencent à rencontrer des survivants dans leurs visites à l'hôpital. Ces derniers semblent parfois un peu anesthésiés, comme si la tragédie qu'ils viennent de vivre était enfouie, pour ne laisser paraître que les derniers petits soucis de surface.

Les stagiaires vivent dans une grande tension et une forte ambivalence: d'une part, ils sont choqués par ce qu'ils doivent et veulent écouter. Ils entendent des récits insoutenables, que je me retiens de transmettre ici. D'autre part, cette proximité avec l'horreur ne leur est pas étrangère, leurs propres expériences et leurs souvenirs traumatiques, demeurés juste sous la surface, sont ravivés.

Durant la formation cpt, la tentation de consoler à bon marché est clairement détectée, le long travail intérieur pour confronter ses propres fragilités est entrepris. Chacun, à son rythme, découvre qu'il ne s'agit pas juste de "savoir comment faire", comment accompagner dans tel cas. Et le travail de sa propre guérison commence, alors qu'il s'approche des blessures des autres. Ce chemin vise à découvrir l'accès à ses propres ressources, presqu'en même temps que d'apprendre à conduire les patients à découvrir les leurs.




Processus d'apprentissage par jeux de rôle

Et puis, dernièrement, on entend à nouveau de ces informations tragiques de razzia meurtrières dans la ville de Béni. L'armée congolaise et celle de l'ONU semblent paralysées par cette stratégie nouvelle. Et au cpt, on prend conscience que le travail pour devenir de vrais accompagnateurs des souffrants est long et profond; et qu'il doit se compléter par d'autres compétences, celles du courage pour dénoncer le mal, celle de fortifier la confiance pour tenir debout contre vents-et-marées…




Un long et dur travail !

Jean-claude Schwab


Et on découvre que beaucoup d'autres dans la région sont déjà attelés à cette tâche et qu'on pourra entrer en réseau avec eux. En particulier, avec la démarche et l'appel du "groupe de Bukavu" initié par le professeur Bernard Ugeux (extraits).

Prêtres de demain, un homme au cœur d’enfant ?

Aujourd’hui on parle beaucoup de personnes blessées, n’oublions pas que le prêtre lui-même est appelé
à panser et à penser ses propres blessures. Le prêtre est un homme fragile qui peut avoir des difficultés à gérer les situations-limites qui le surprennent souvent en cours de chemin. Il n’est donc pas, – contrairement à l’image qu’il se donne ou qu’il peut afficher, souvent maladroitement, – un « surhomme », un « extra- terrestre » ! En effet, toute personne qui chemine dans la vie spirituelle passe parfois par des moments difficiles où les nuits et les combats sont parfois terribles, humainement invivables. Tout prêtre passe aussi par des crises humaines comme, par exemple, la « crise du milieu de vie » (généralement entre 40 et 55 ans) ou la crise de « l’acceptation de la vieillesse », etc...

Le prêtre blessé, envoyé aux personnes blessées

Pour ce monde blessé et dont le « mal-être » est palpable, il nous faut repenser notre ministère sacerdotal : le monde attend des prêtres qui, comme le Bon Samaritain, s’arrêtent sur la misère des blessés et les conduit jusqu’à la guérison intégrale. Accepterons-nous de renaître à notre propre baptême, de redevenir des enfants (et non des gamins !) : enfants fragiles, qui se laissent brûler par la Miséricorde divine et devenir le reflet de cette tendresse miséricordieuse parmi nos frères et sœurs.

Prêtre, homme souple, aux grands yeux

« Dieu ne demande pas des gens qui ont des vertus, mais des enfants qu’il puisse prendre comme on soulève un petit enfant, subitement parce qu’il est léger et qu’il a des grands yeux » (Emmanuel Mounier).

Ces hommes et ces femmes paraîtront fragiles et vulnérables aux yeux du monde, mais ils seront désarmants parce qu’ils auront été désarmés de leur pouvoir, de leur savoir et de leur avoir, pour ne demeurer qu’instruments de Dieu. S’ils sont trop forts, s’ils se présentent comme un soldat tout équipé, alors ils risquent de se mettre un peu sur le piédestal de leur supériorité et de leur générosité. Ils apparaîtront alors devant leurs frères et sœurs, non pas comme des représentants de Jésus- Christ, obéissant, doux et humble de cœur, mais comme des organisateurs ou des enseignants efficaces qui peuvent avoir caché leurs projets de mieux réussir dans la carrière ecclésiastique.

«Les véritables témoins de notre temps ressembleront à l’enfant prodigue. Ils auront fait une expérience de Dieu en reconnaissant leur misère. Le plus grand besoin des hommes et des femmes d’aujourd’hui, c’est de rencontrer sur leur chemin des personnes qui, ayant accepté leur pauvreté, peuvent dire alors : "N’ayez pas peur de votre pauvreté, de votre fragilité, voire même de votre vulnérabilité. Pénétrez au plus intime de vous – même et découvrez ce trésor dont la valeur n’a rien de comparable à ce que vous possédez déjà"» (Jean Vanier).

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