dimanche 23 novembre 2014

Goma 2014 (3/6): Un projet novateur qui nous précède et nous rejoint:
Les paillottes de paix




Il est de coutume, au milieu du cours de formation pastorale clinique CPT, de consacrer une journée à une "sortie" interpellatrice. Cette année nous avons choisi de visiter un village de montagne (Karuba, dans le Masisi), où nous avion rendez-vous avec le "Comité Néhémie »

Le centre médical de Heal Africa, dans sa vision holistique de la santé a mis en place dans les villages de la région des Comités Néhémie - en référence au prophète qui a reconstruit la ville de Jérusalem détruite et posé les bases d’une société juste. - Ces comités réunissent les responsables, religieux (chrétiens et musulmans), coutumiers, administratifs et notables d'un village, pour travailler sur la gestion des conflits et la défense des droits de la femme ( lutter contre l’exclusion des femmes violées ou bien de donner droit d’héritage aux veuves qui, selon la coutume, sont dépouillées de tout bien et restent sans ressource lors du décès du conjoint.)

Nous avions rendez-vous à une heure et demie d'ici, sur des routes à vous casser les meilleurs 4x4, nous grimpons à des altitudes presque suisses (2000 à 2500m), dans des chemins escarpés avec 2 véhicules. Nous avons la chance d'avoir comme guide le pasteur Bolingo, qui est le réalisateur principal du projet et qui est aussi formateur CPT en formation. Actuellement 131 villages se sont dotés de telles structures de pacification.

Accueil chaleureux. On nous invite dans la "paillotte de paix". Les hommes s'asseillent en face de nous, en deux demi-cercle, dans un décor impressionnant de beauté. On découvre que les femmes ne sont pas là; ça manque. Nous apprendrons par la suite que la plupart sont parties au marché. Il y en a tout de même une qui nous rejoint.

Dans le village de Karuba, plusieurs personnes avaient déjà été sensibilisés à la problématique des droits de l'homme. Ils ont tout de suite accueilli le projet Néhémie avec intérêt. Ces hommes et femmes nous racontent maintenant avec fierté et passion ce qu'ils vivent depuis ce temps-là. Ils ont vu des changements tels, qu'ils ont décidé de continuer cette entreprise sans soutien extérieur lorsque le soutien financier à leur démarche s’est arrêté, en 2010.

Ils se sont formés à la gestion des conflits, et se sont attelés à offrir au village un instrument de résolution des multiples conflits internes, au travers de la paillote de paix : conflits conjugaux, familiaux, inter-ethniques, ou à propos d'héritage, dans la défense des droits des femmes, etc. Ils témoignent de nombreux cas de pacifications réussies, qui les enthousiasment et nourrissent leur motivation:

Ils nous racontent:
  • Nous défendons les gens auprès de la police quand elle les accuse injustement (ce qui est courant au Congo) . La collaboration s'est bien établie. Aujourd'hui, nous allons vérifier pourquoi telle personne est en prison, et si c'est à tort qu'elle a été arrêtée. Dans ce cas nous l’amenons vers la bonne juridiction, pour qu'elle soit libérée des traitements abjects. Les prisonniers disent que "le Comité nous défend bien, pour que la justice soit établie". Par ailleurs, chez nous les filles de la tribu Hutus n'étaient pas scolarisées. En quelques années ça a bien changé. Et nos femmes et les soeurs reçoivent aussi leur part d'héritage dorénavant.
  • Chez moi nous avions un conflit avec ma tante à propos d'un héritage. Après le recours à la paillote, j'ai appris que ma soeur avait aussi droit à sa part. Auparavant, les femmes qui avaient été violées étaient rejetées. Après notre formation, nous reconnaissons qu'elles sont des victimes, qu'elles ont subi un traumatisme; et nous voulons désormais que ces femmes restent en famille.
  • Quand il y a un conflit, et qu'on recourt à notre comité, nous disons que nous ne sommes pas des juges, mais des réconciliateurs. D'abord, nous écoutons les 2 parties attentivement. Puis nous allons investiguer sur le terrain, dans les familles, chez les voisins, pour comprendre vraiment pourquoi ces parties sont en conflit. Nous cherchons à sonder les coeurs. Ensuite on met les deux parties en confrontation, puis on les conseille en vue d'une réconciliation où les deux parties sont gagnantes.
  • Nous sommes en train d'intérioriser cette nouvelle culture, qui nous fait du bien. Notre population commence à se relever. Maintenant, les villages avoisinants nous demandent de venir les former en vue de créer des telles paillottes de paix.

On termine ce temps de dialogue tout naturellement par le partage de notre pique-nique avec nos hôtes, puis par des échanges informels sur la place du village, avec les photos habituelles

Un dernier incident nous révèle l'importance de cette démarche et l'autorité acquise par ce Comité : à la sortie du village, au barrage de police, on nous arrête. Les policiers manifestent une certaines agressivité. On sait que c'est qu’ils veulent nous extorquer quelques dollars. Quelques minutes après les membres du comité arrivent à pied au barrage. Tout de suite l'ambiance change: plus questions de négocier notre passage! Cela finit par un échange chaleureux, où toute menace avait disparu !!


Si vous avez goût à continuer votre lecture, voici un autre événement vécu par Jean-Claude à l’occasion d’un culte :

Moi aussi je traverse le test de la réalité.

Dimanche 16 novembre, 16h30. Rentré chez moi à 14h30, je goûte une sieste bienfaisante, puis profite de mon balcon au dessus du lac pour importer mes photos et me remémorer cette journée. Parti comme d'habitude aux aurores, et après avoir participé (assisté) à la célébration à HA, je suis conduit vers le "temple" d'une église dont l'un des stagiaires Sophonie Kasiki est représentant légal (= président du conseil synodal).J'avais décidé de passer dans son église et dans sa famille. Kasiki est aussi aumônier à HA. J'avais préparé ma prédication hier soir, à la limite de la fatigue.

ambiance du soir devant chez moi
En m'approchant du quartier de cette église, j'ai commencé à douter de la pertinence de mon message (concernant le sentiment d'impuissance devant les défis insurmontables de la souffrance) : on parcourt en 4x4 (à 2km/h) des rues de plus en plus étroites et serpentant à travers les blocs et gravats de lave séchée, les maisons devenant de plus en plus petites.

Puis le temple: une sorte de baraque en bois et en tôle rouillée (elle avait été incendiée il y a un an et reconstruite avec les restes). Une assemblée nombreuse, mais assise pauvrement sur des petits bancs inconfortables. Ne suis-je, ne serai-je à côté de la plaque avec mon message compliqué ?

Mais un tournant s'opère: déjà lors de la salutation, je découvre une assemblée attentive, réactive, vigoureuse. Puis vient le temps d'un échange autour d'un texte biblique (non lu). En effet un chapitre biblique est recommandé pour chaque semaine. Et lors du culte un entretien communautaire s'établit autour de ce texte. Les interventions de femmes et d'hommes surgissent à tour de rôle de tous côtés, au micro. Des interventions personnelles, ou théologiques, existentielles, des questions ouvertes, le pasteur renvoyant toujours la parole à l'assemblée. Je n'ai jamais vécu un tel échange de maturité dans une église (dont j'avais les bribes de traduction depuis le swahili). J'en suis même émerveillé. Voilà une communauté mûre.

Toutes mes projections erronées commencent à s'effondrer. (Voilà un des bons fruits de la Ligue plldl Bible!) Je pourrai transmettre "sans plus de doute", ce que j'avais préparé. Je perçois en effet un accueil, une écoute intelligente, perceptive. Etonnamment, à la fin, un bon nombre de jeunes hommes se sont approchés de moi pour me dire spécifiquement "qu'ils avaient bien compris ce que je leur avais communiqué". Après le message, je me rassieds entre 2 pasteurs qui sont aussi stagiaires au CPT, et leur demande s'ils sont en train de faire "la supervision de ma prédication" (comme on le pratique au CPT). L'un me dit qu'il était en train de formuler en lui-même quel était le centre du message qu'il avait reçu. Et juste après on lui demande de conclure: en moins d'une minute il déclare ce centre; j'avais l'impression que c'était pertinent (mais n'ai pas pu contrôler, en swahili)! Une belle expérience pour moi, et un bel apprentissage!… et en même temps une belle leçon !

Le passage ensuite, dans la maison et la famille de Kasiki est touchant. Il a transplanté sa famille (5 garçons, de 10 à 23 ans, dont 2 à l'uni) de Butembo vers Goma (250 km), pour travailler à HA, avec un mandat d'une année ! (HA travaille ainsi avec chacun de ses employés, en fonction des engagements des ONG pour chacun de leurs projets). C'est une démarche de foi, risquée, mais confiante. J'ai pu entrer de plain pied et de tout coeur dans leur parcelle et leur maison, si dépouillée, mais bien "habitée ».

Jean-Claude Schwab

mercredi 5 novembre 2014

Goma 2014 (2/6): Le grand saut dans le CPT


Le grand saut dans le CPT:
Goma 2014

Le 22 octobre, après un voyage d’une beauté époustouflante, je retrouve la terre africaine...

Du lever du soleil,tout le long du jour (du Nil)... ... et jusqu'à son coucher... ...il a veillé sur moi (et sur tous les autres) !!

Le lendemain matin, en une matinée de bus, j’ai traversé le "Pays des mille collines" (Rwanda) et suis arrivé au but exactement comme prévu.

La ville de Goma se trouve à la frontière rwandaise du lac Kivu sur les anciennes coulées de lave issues du volcan Nyiragongo. De nombreux troubles et événements angoissants s'y sont déroulés et continuent à menacer la région. Donner aujourd'hui à cette population traumatisée un signe de solidarité et d'attention, c'est l’appel qui a résonné dans nos coeurs.

Construire sur les anciennes amitiés

Au milieu de beaucoup d’incertitudes, il a été bon de retrouver notre ami de toujours, le Dr Jo Lusi, qui nous accueille dans un endroit magnifique au bord du lac Kivu, met un véhicule à notre disposition et soutien à fond notre travail. Le pasteur Bolingo, qui fait aussi partie des superviseurs en formation, est responsable de toute l’infrastructure et de la logistique. L’arrivée des deux co-animateurs du stage Samuel Aluta de Kisangani et Grégoire Ntobo de Kinshasa fut un pas de plus vers la concrétisation de notre projet.

Rythmes africains

Je dois de nouveau me faire à la manière africaine de vivre le temps, aux heures de rendez-vous incertaines, aux contingences matérielles difficiles qui sont le lot quotidien de la population. Le chargeur de mon mac s’en tire moins bien que moi et a déjà grillé deux fois. Le remplacer est tout un parcours de combattant.

Région traumatisée

Le message entendu plusieurs fois est clair: Toute la Province est traumatisée, chaque personne est traumatisée (à différents niveaux dans cette province). Les coups de feu de cette nuit (effectivement ils nous ont tous réveillés vers 2h30), produisent des effets très différents si vous venez de l'étranger ou si vous êtes traumatisés (pour ces derniers il y a des réflexes immaîtrisables d'angoisse, de souvenirs qui reviennent, etc).

31 octobre, arrivée à Buhimba

Le Centre où nous allons vivre les cinq semaines de cours se situe dans un cadre magnifique. Il est à 15km de Goma, mais la route est dans un tel état qu’il faut une heure pour y arriver. Vendredi 31 octobre, nous nous y sommes retrouvés avec sept stagiaires. Nous en espérons encore cinq. Ceux qui sont là ne sont pas ceux qui étaient inscrits avant mon arrivée... Ils n’ont pas réussi à rassembler les 100$ de participation ou bien ont été freinés par différents facteurs structurels ou personnels.


3 novembre, première journée de travail

Nous finissons une première journée de travail - magnifique ! Hier soir le 11ème stagiaire arrive à 23h en provenance de Béni (où il y a eu les 80 massacres la semaine passée, puis la répression vive d'un mouvement citoyen pacifique de protestation contre la passivité des forces de sécurité.) Il a fait plus de 300km de route en deux jours. C'est le mari de Joséphine qui était avec nous l'an passé. C'est lui qui a conduit à pied, sur plusieurs centaines de km, le millier d'infirmiers, médecins et malades en fuite devant les massacres de Nyankunde, il y a 14 ans.

Ce matin arrivait, en bateau depuis l’Île d'Idjwi, le 12éme et dernier candidat. Nous sommes au complet. Les deux derniers arrivés ce matin sont entrés de plain pied dans le cours, comme s'ils y avaient déjà pris part! Bolingo me dit: "Cette formation n'est pas une formation quelconque; c'est le Seigneur qui envoie les personnes de son choix. Ne vient pas qui veut". Des stagiaires disent cela aussi. C'est une manière d'interpréter le chaos qu'il y a eu autour des inscriptions. Au fond, même si cela m'a presque rendu malade, je me rallie volontiers à cette perspective.

Il y a évidemment beaucoup d'attentes, impossible à satisfaire du côté des stagiaires. Le travail sur les "Objectifs personnels de formation", samedi, nous l'a montré. Ces attentes sont légitimes; en même temps elles signifient une attitude quelque peu passive, qui attend tout de nous et de notre apport supposé. Nous leur disons que c'est à eux de définir des objectifs qu'ils pourront réaliser; que c'est eux qui sont les instruments, que les outils de leur ministère, ils les ont en eux. Ils sont étonnés... puis accueillent cela comme un défi nouveau, qui leur rend leur pouvoir.

Les premiers travaux sur verbatim d'entretien sont passionnants. Chacun semble saisir d'emblée "de quoi il s'agit", ce qu'on est en train de faire et quel en est l'enjeu. Ils y goûtent et contribuent activement.


Les premiers partages de récits de vie sont bouleversants de profondeur, d'authenticité, décrivant des parcours de vie significatifs à travers des circonstances que je ne pourrais pas imaginer...

Je me réjouis tant pour la suite. Nous sommes portés par cette quête et cette disponibilité de chacun à se risquer dans un champ et des expériences nouvelles... et aussi portés par tous ceux qui s'adressent au Seigneur pour nous.

Premières impressions de fierté et d'étangeté, lorsque les stagiaires reçoivent et mettent leurs blouses pour la premère fois:



Puis visite du deuxième hôpital (Ndosho) et tous ses départements:



NB Pour qu'un hôpital de 200 lits occupés puisse accueillir 300 blessés de guerre supplémentaires, il fallait installer des tentes de secours dans les cours de l'hôpital :